TEXTES G.R.A.V.

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Multiples

Groupe de recherche d'art visuel, octobre 1966.

 

L'œuvre multipliable s'inscrit de plus en plus dans l'actualité. En Europe comme en Amérique on s'oriente vers les « multiples ». Aussi importe-t-il de prendre conscience du problème, de son développement comme de ses limites. Car, pour nous, la multiplication représente une étape transitoire comportant à la fois des cotés positifs et des cotés négatifs.

 

En ce qui nous concerne, Groupe de recherche d'art visuel, nous sommes surtout intéressés par la multiplication d'œuvres qui permettent des situations variées, soit qu'elles engendrent une forte excitation visuelle, soit qu'elles réclament le déplacement du spectateur, soit qu'elles contiennent en elles-mêmes un principe de transformation, soit qu'elles appellent une participation active du spectateur.

 

On sait combien la multiplication d'œuvres par des procédés traditionnels - fonte, gravure, etc. - est ancienne. II est d'autant plus frappant de constater que la notion de « multiple » a pris une brusque extension avec l'apparition d'œuvres ou de recherches cinétiques qui se caractérisent d'une part par un haut degré de dépersonnalisation (désaffection pour le geste pour le « faire » de l'artiste), d'autre part par la possibilité de conserver, même quand l'œuvre est multipliée a partir d'une base rigoureusement identique, un aspect différent pour chaque exemplaire.

 

Reste que la multiplication n’est pas une panacée. Si on se contente de multiplier des œuvres qui ne changent rien a la situation du spectateur et maintiennent sa sujétion, on ne fait que multiplier les contradictions de l'art actuel. On ne résout en rien le problème qui nous préoccupe principalement : le divorce entre le grand public et l'art.

 

Multiplier les œuvres a prix modique - mais encore trop chères pour être a la portée de tout le monde - risque d'engendrer un type de collectionneur qui aura, a peu de choses près, les mêmes réflexes que l'amateur d'œuvres uniques. Certes pour une période intermédiaire la multiplication va permettre le développement d'une nouvelle couche de collectionneurs plus disponibles, moins enfermés dans l'esprit de possession - sinon de spéculation - plus désintéressés, moins compromis dans les données de l'art actuel.

 

Posséder une œuvre est moins aliénant quand cent personnes possèdent la même.

C'est en ce sens qu'on peut parler de l'ambiguïté du multiple, qui est encore lié a la tradition, mais qui d'autre part contribue a désacraliser l'œuvre unique, a enlever a celle-ci son caractère d'objet fétiche et de prétexte a spéculation. Cette ambiguïté de la notion de multiple nous interdit de considérer l'industrialisation de l'œuvre d'art comme une fin en soi. Avoir pour objectif d'imposer les multiples par milliers à travers des monoprix peut être une intrusion valable dans une étape intermédiaire, surtout si ces multiples créent un rapport direct avec le spectateur. Par contre, si cette multiplication se fonde sur des œuvres qui continuent a avoir des exigences culturelles a l'égard du spectateur dépendant et passif et si elle ne se fixe pour but que de diffuser et « mettre l'art a la portée des masses », cela revient seulement a élargir ou quantifier les rapports déjà existants entre l'art et le spectateur sans en changer la nature. Car le vrai problème, en définitive, c'est toujours celui-là. Dans la mesure ou la multiplication permet de remettre en question - même timidement-les rapports habituels de l'art et du spectateur, nous en sommes partisans. Mais ce n’est qu'une première étape. La seconde pourrait être par exemple de multiplier non plus seulement des œuvres, mais des ensembles qui joueraient un rôle d'incitation sociale, tout en libérant le spectateur de l'obsession de la possession. Ces ensembles multipliables pourront prendre la forme de lieux d'activation, de salles de jeux, qui seraient montées et utilisées selon le lieu et la nature des spectateurs. Des lors la participation deviendrait collective et temporaire. Le public pourrait exprimer ses besoins autrement que par la possession et la jouissance individuelle.

 

Groupe de recherche d'art visuel, octobre 1966.

 

 

Multiples

GRAV  - 1968

 

The multiplicable work is becoming more and more of a reality. In Europe as well as the United States, attention is being paid to "multiples." Consequently, it is important to become aware of the problem, of its development and its limitations. Because, for us, multiplication represents a transitional stage which has both positive and negative aspects.

 

As far as the Groupe de Recherche d'Art Visuel is con­cerned, we are particularly interested in the multipli­cation of works that allow for diverse situations, either in that they generate strong visual excitement, or that they call for the movement of the spectator, or that they contain a transformative principle within themselves, or that they call for the active participation of the spectator.

We know how far back the multiplication of works by traditional means—casting, engraving, et cetera—dates. It is all the more striking to observe that the concept of "multiple" has been suddenly extended with the appearance of works and kinetic research that are characterized by a high degree of depersonalization (disaffection for the gesture, for the "making" by the artist), and on the other hand by the possibility of preserving—even when the work is multiplied on a strictly identical basis—a different aspect for each copy.

 

The fact remains that multiplication is not a panacea. If we are content with multiplying works that do not change the spectator's situation and that maintain his or her state of subjection, we only multiply the contradictions of today's art. We do not in the least solve the problem that is our main preoccupation: the split between the general public and art.

Multiplying works at a modest price—but still too high to be available to everyone—risks giving rise to a type of collector who will have more or less the same reflexes as the collector of unique works of art. Of course, for an intermediate period, multiplication will allow for the develop­ment of a new stratum of collectors who are more open-minded and less caught up in the spirit of ownership — not to mention speculation—more selfless, less compromised within the current art situation.

Owning a work is less alienating when a hundred other people own the same thing.

 

It is in this sense that we can speak of the ambiguity of the multiple, which is still connected to tradition, but which, on the other hand, contributes to the dismantling of the sacred aura surrounding the unique work of art, and to ridding the work of its status as a fetish object and a pretext for speculation. This ambiguity of the notion of multiple keeps us from seeing the mass production of the work of art as an end in itself. The goal of filling supermarkets with thousands of multiples can be a valuable intrusion as part of an intermediate stage, especially if these multiples create a direct relationship with the spectator. On the other hand, if this multiplication is based on works that continue to make cultural demands of a dependent and passive spectator, and if it does not have the goal of distributing and "making art available to the masses," then it only increases and quantities the existing relationships between art and the spectator without changing their nature. Because the real problem, finally, is always that. As long as multiplication allows us to question — even half-heartedly — the usual relationship between art and the spectator, we are for it. But this is only a first stage. A second stage could be, for example, the multiplication not only of works of art, but of ensembles that act as social stimuli, while at the same time liberating the viewer from the obsession of ownership. These ensembles could take the form of places of activation or game rooms, which can be erected and used depending on the place and the type of spectators. From that time on, participation will become collective and temporary. The public will be able to express its needs other than through ownership and individual pleasure.

 

Multiples

G.R.A.V., Paris, October 1966.

 

 

Múltiples

París, octubre de 1966. GRAV.

 

La obra multiplicable se inscribe cada vez más en la actualidad. Tanto en Europa como en América los artistas se orientan hacia los "Multiplicables". Es importante entonces tomar conciencia del problema, tanto de su desarrollo como de sus límites. Porque para nosotros la multiplicación representa una etapa transitoria que tiene a la vez aspectos positivos y negativos.

 

Por lo que nos concierne, como "Groupe de Recherche d'Art Visuel", estamos especialmente interesados en la multiplicación de obras, que permitan situaciones variadas, que engendren una fuerte excitación visual, que reclamen el desplazamiento del espectador, que contengan en si mismas un principio de transformación o que reclamen una participación activa del espectador,

Se sabe lo antigua que es la multiplicación de obras por medio de procedimientos tradicionales: fundición, grabado, etc. Es, por lo tanto, más sorprendente aún constatar que la noción de "Múltiple" se ha extendido bruscamente con la aparición de obras o de investigaciones cinegéticas que se caracterizan, por una parte, por un alto grado de despersonalización (desafección por el gesto, por el "hacer" del artista) y, por otra, por la posibilidad de conservar un aspecto diferente en cada ejemplar aun cuando la obra se multiplica a partir de una base idéntica.

 

Es evidente que la multiplicación no es una panacea. Si uno se contenta con multiplicar obras que no cambian nada la situación del espectador y mantienen su dependencia, no se hace más que multiplicar las contradicciones del arte actual. No se resuelve para nada el problema que nos preocupa principalmente: el divorcio entre el arte y el gran público. Multiplicando las obras a bajo costo -pero todavía demasiado caras para estar al alcance de todo el mundo- se corre el riesgo de engendrar un tipo de coleccionista que tendrá, con poca diferencia, los mismos reflejos que el aficionado a obras únicas. Por cierto, durante un periodo intermedio, la multiplicación va a permitir el desarrollo de una clase de coleccionistas, menos encerrados en el espíritu de posesión -sino de especulación-, más desinteresados, menos comprometidos con las normas del arte actual. Es menos enajenante poseer una obra cuando cien personas poseen la misma.

 

Es en este sentido que se puede hablar de la ambigüedad del múltiple, todavía ligado a la tradición, pero que por otra parte contribuye a desacralizar la obra única, a quitarle su carácter de objeto fetiche y de pretexto para la especulación. Esta ambigüedad de la noción de múltiple, nos impide considerar la industrialización de la obra de arte como un fin en sí. Tener por objetivo imponer los múltiples por millares, en las tiendas de precio único, puede ser una intromisión válida en una etapa intermedia, sobre todo si esos múltiples crean una relación directa con el espectador. Por el contrario, si esta multiplicación se funda en obras que continúan teniendo exigencias culturales con respecto al espectador, dependiente y pasivo, y si no se fija por fin más que difundir y "poner el arte al alcance de las masas", esto sólo lleva a ampliar o cuantificar las relaciones existentes entre el arte y el espectador, sin cambiar su naturaleza. Pues el verdadero problema, en definitiva, es siempre ése. En la medida que la multiplicación permite replantear, aunque sea tímidamente, las relaciones habituales entre el arte y el espectador, somos partidarios de ella. Pero no es más que una primera etapa. La segunda podría ser, por ejemplo, multiplicar no ya solamente obras sino conjuntos que desempeñarían un papel de incitación social, liberando al mismo tiempo al espectador de la obsesión de la posesión. Esos conjuntos multiplicables podrán tomar la forma de lugares de participación activa, de salas de juego, que serian montados y utilizados según el lugar y la naturaleza de los espectadores. Entonces la participación se convertiría en colectiva y temporal. El público podría expresar sus necesidades en otra forma diferente de la posesión y el goce individual.

 

París, octubre de 1966. GRAV.

 

 

ATELIER LE PARC - 2014